Le paradis Michel Berger

Hommage à Michel Berger,
par Jean-Claude Genel

Voici 28 ans qu’il nous a quittés et ses chansons, régulièrement diffusées sur les ondes du monde entier, procurent le même plaisir et la même émotion qu’au premier jour. Le secret de ses compositions se trouve dans “ce petit supplément d’âme” qui habitait Michel Berger.

Le rythme de ses mélodies continue d’accompagner notre quotidien et ses paroles soulignent ce que nous avons de meilleur : notre humanité. Avec des refrains que l’on croirait parfois écrits pour nous, ce compositeur éclairé continue de distiller sa poésie comme la promesse d’une vie “supérieure” cachée derrière la grisaille des apparences. Même si l’homme est resté secret, ce qu’il nous a appris de lui est ciselé dans chacun de ses succès. Il était dans l’air du temps mais son œuvre échappera à la morsure du temps. La simplicité émanait de son regard, ce beau regard intelligent, inspiré et empli de bonté. On ne peut penser à Michel Berger que comme un être bon, à la beauté intérieure affirmée, qui rayonnait et touchait. On retrouve dans ses yeux ceux de France Gall ; ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. A ses côtés, elle l'a inspiré et sa voix a donné à ses chansons leur raison d'exister. Elle reste pour moi son unique et merveilleuse interprète.

Depuis le départ de Michel Berger, les rares apparitions de France Gall évoquaient sa présence et toutes les mélodies signées de Michel nous rappellent la douceur de France et l’harmonie entre ces deux êtres. “Michel composait, il enregistrait et c’était un succès” me confiait-elle. Il écrivait plus que des chansons, il transcrivait les mouvements de son âme pour que celle-ci devienne plus proche de notre quotidien. Le temps d’une chanson, elle devient plus vivante et nous prend la main.

Le témoignage inattendu

Malgré son départ le 2 août 1992, Michel Berger reste associé à notre vie dont il a chanté les aspects les plus lumineux. Cette lumière, il en a témoigné lors d’un contact dont j’ai eu le privilège alors que je préparais la troisième partie de mon livre “Ce que la mort m’a confié”, consacrée aux témoignages de personnes célèbres sur leur passage vers l’autre rive. J’avais “sorti toutes mes antennes” comme je dis dans ces moments-là. Michel s’est présenté avec sa voix douce, presque timide. Ce qui m’a été permis d’entendre dévoile une autre facette de cet être dont l’ouverture à la vie n’avait d’égal que sa générosité.

Il est vrai qu’il y a une autre vie, faite d’un autre espace-temps où la vérité des hommes se rejoint pour s’accomplir différemment que sur la terre. Lorsque j’étais incarné, tout passionné par ma vie, par ma musique et ma famille, mon regard ne se portait jamais sur une telle magnificence. Et tout ce que je composais m’était totalement inspiré et traduisait déjà un au-delà féerique et merveilleux

Répondre à l’appel

Quelques jours avant mon départ, je n’étais pas aussi bien que cela. Je n’ai pas parlé, mais confusément je sentais qu’il y avait quelque chose en moi qui bougeais. (…) Moi qui avais tellement d’urgence à vivre, à faire les choses. Je sais maintenant que c’était une partie de moi – que je connaissais mal – qui se tournait vers un ailleurs et qui appelait. La douleur, les secours, les caresses aussi sur mon visage, rien, rien ne pouvait m’accrocher à cette vie que je quittais, rien. J’ai lutté un peu, mais si peu. J’aurais voulu partir sans faire de peine à qui que ce soit, surtout pas. (…) Les yeux clos, je sentais intérieurement que je me fermais à cette vie que je quittais. Je ne pouvais pas faire autrement que de répondre à cet appel, que de décrocher – je ne pouvais pas.

Et un chant m’a enveloppé. J’ai compris par la suite que j’étais complètement habité par la musique, car cette “ décorporation ” – voilà comment je pourrais dire – se faisait en différents temps. C’est autant de notes, comme si ma force intérieure – mon être profond, mon âme – quittait ce corps. Mais cette rupture avec cette vie physique, cette entrée dans la vie totale, vibrait. Et c’était comme une musique intérieure qui m’appelait. C’est comme si j’étais parti en musique, j’étais enveloppé de cela.

Entrée dans la vie

Je me suis retrouvé – parce que, je le sais, j’ai été très protégé – sur un autre plan. Un plan très lumineux, extrêmement beau, où tout était simple, où je me sentais tranquille, en paix. Loin de tout mais si proche de tous en même temps ; quelle curieuse impression. Je rentrais dans la vie. Je savais que j’étais différent, je savais que je quittais une vie, une femme, des enfants, une famille. Je quittais le plan matériel, mais voir ces couleurs, ces lumières et entendre cette musique, me bouleversait et m’émerveillait. Doucement, je me suis comme "étalé" en conscience sur tout ce plan. Tout ce que je pouvais voir et deviner, ce prolongement sur les côtés, devant ou derrière moi, tout ce qui m’enveloppait, il me semblait que je pouvais en saisir chaque parcelle. J’étais devenu cela.

Un amour plus fort

Puis, un jeune garçon s’est approché de moi, souriant, magnifique. Il m’a accueilli. Il m’a remercié, je ne sais pas de quoi il m’a remercié… Il a regardé un endroit, j’ai regardé. Et là j’ai aperçu comme un écran ou plutôt je reprenais conscience de ce qui se passait. Et je voyais France, bouleversée mais digne, très digne. Et j’ai… je l’ai aimée. En cet instant, mon amour a été encore plus fort. Je l’ai trouvée belle. Puis l’être a attiré mon attention sur les enfants. Eux aussi étaient dans la dignité. Ils se montraient tels que j’aurais pu en rêver – simples, humbles ; dans la souffrance, mais dignes, responsables. Mon amour a été fort aussi pour eux. Mais… Mais déjà l’image se fondait, redevenait lumière et l’être m’a demandé de regarder autour de moi. J’ai vu d’autres êtres. Ils se déplaçaient dans cette lumière, dans cette féerie, avec simplicité. Je faisais partie d’eux. Il n’y avait pas de vedettariat.

Être ange…

J’ai appris que le plan sur lequel j’étais accueilli correspondait bien à toute la vie que j’avais eue. Cette bataille vis-à-vis de moi-même, cette dualité, cette inspiration que j’ai reçue pour la musique, cet amour pour les êtres, quels qu’ils soient. Tout cela m’avait hissé à ce plan. Et c’était pour continuer d’étudier, d’apprendre, être encore plus sensible. C’est un peu comme si l’être pensait à ma place, ce qui fait que je pensais à travers lui. Ce que je découvrais de moi me parlait ; oui, j’étais bien ainsi. C’est là que j’ai compris que tout mon corps physique – que j’avais laissé et qui finalement m’encombrait – vibrait de cette musique. Je ne pouvais pas faire autrement qu’être compositeur. En fait, j’entendais et j’avais le talent de reproduire.” (…) “Je suis libre, libre dans ma tête et dans mon cœur. Libre de toute cette prison que représente la terre lorsqu’on ne sait pas vivre ou comprendre. Beaucoup d’années j’ai joué, j’ai composé, et c’est comme si je m’étais fait un paradis de musique, de notes. Parfois, je me donne l’impression d’être un ange, jouant à déplacer les notes accrochées dans le ciel. Je suis très heureux d’avoir apporté mon témoignage.

Toujours plus haut dans le texte !

“Je suis peut-être celle qui te fermera les yeux”. Cette phrase tirée de “J’irai où tu iras” a été bien des fois chantée par France Gall. Peut-on parler de prémonition ? Michel Berger l’a écrite avec amour, comme toutes celles qui parlent de l’essentiel ici-bas et qu’il nous délivre comme un mode d’emploi. Dans “Privée d’amour”, il compare un être privé d’amour à “un soleil sans flamme, à une douleur sans larme” et pose la question : “comment devenir une femme” dans un pays saccagé par la guerre. Il sait que “quelque chose d’éternel vit à chaque seconde” et que, “chacun dans sa prison”, nous passons à côté. Avec “Plus haut”, Michel Berger nous invite irrésistiblement à suivre la voix de notre âme. “Celui que j’aime vit dans un monde plus haut” (…) et “si je lui dis oui, il m’emmène avec lui” est digne du Cantique des Cantiques.

France Gall ne s’y trompait pas en disant : “La musique de Michel, je la ressens comme si elle venait de moi (…) Ses mots me parlent”. “Message personnel” évoque pour moi sans équivoque l’appel pressant de l’âme qui nous dit “si tu crois que tu m’aimes, viens me retrouver”, et “si le dégoût de la vie vient en toi, pense à moi”. En plus d’une invitation à vivre “plus haut”, Michel Berger nous demande de résister à tout ce qui nous éloigne de l’amour et compromet notre bonheur (Résiste est une comédie musicale magnifique disponible en DVD). “Suis ton cœur qui insiste” et “refuse ce monde égoïste” et enfin “bats-toi, signe et persiste” sont les clés d’une existence éveillée et non anesthésiée. Il nous interroge sans relâche dans “A quoi il sert ?” sur la destination de l’amour que l’on porte en soi : “à qui on le donne, à qui on l’avoue”. Et si la paresse de la vie nous prend, comment résister quand France Gall nous dit “Viens, je t'emmène...” ?

Michel Berger savait que certains portent en eux “ce je n’sais quoi”, “ce petit supplément d’âme” qui permet à tous les autres de continuer à chercher l’amour qui les rend beaux ! Mais “Dieu, que l’amour est bizarre” nous dit France Gall dans cette merveilleuse chanson d’amour où l’on découvre que l’être qui reçoit l’amour d’un autre sort de l’obscurité. Je terminerai enfin par un dernier hymne à l’amour intitulé “Lumière du jour”. Fermez les yeux et dites ces paroles à votre moi profond, à votre âme, comme une prière universelle :

Tu es ma lumière du jour, tu es mon ultime recours, et je t’appelle au secours, perdu dans la nuit qui m’entoure (…) Si je t’appelle tu accours, tu es mon premier secours, ma lumière du jour (…) Et moi, tu vois, j’ai toi…

 

 

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